allons voir ! troisième édition
Point(s) de vue
3 juillet – 19 septembre 2021
Commissariat : Gunther Ludwig (enseignant à l’ESAD Orléans)
avec :
- Ladislas Combeuil
- Chourouk Hriech
- Tsama do Paço
- Jeanne Tzaut
- Thomas Wattebled
- et la participation de jeunes diplômé.e.s de l’ENSA Bourges : Thomas Bontemps et Hanna Kokolo, et de l’ESAD TALM Tours : Hannah Barantin
À la singularité des lieux investis par allons voir !, où la dimension patrimoniale, la notion de site et de paysage au-delà du bâti, le contexte rural et ses activités sont forts, doivent répondre des intentions plastiques tout aussi particulières. C’est pourquoi, avec cette invitation à penser des œuvres in situ, privilégier de manière ouverte la proposition des artistes (son caractère original, contextualisé, imparfait, surprenant, subjectif) était une volonté affirmée.
Aussi, le sujet des Point(s) de vue permet-il de tisser un fil directeur tout en laissant une grande liberté à chacun dans son interprétation. Le choix du pluriel indique cette pluralité possible. Point(s) de vue est une expression plurivoque qui convoque autant la question des formes et des choix plastiques, celle de la prise de position, celle de l’environnement où les œuvres prennent place.
Pour allons voir !, elle voudrait avoir trois sens. Le point de vue est d’abord une perspective à partir du lieu d’où on regarde. Dans une proximité avec l’histoire de l’art, il rappelle sa théorisation par Alberti, célèbre humaniste italien*. « Pyramides visuelles », les granges sont envisagées ici comme une situation pour faire oeuvre. Il est aussi une façon de traiter une question, de l’envisager pour dégager une opinion, exprimer un avis personnel. Enfin, le point de vue est une étendue, un panorama observable depuis un point donné, qui permet de prendre du recul, au sens propre comme figuré.
La quinzaine d’œuvres ou ensembles d’œuvres présentés créent un parcours où se mêlent cinq projets réalisés spécialement à d’autres créations des artistes qui entrent en résonance avec le contexte de la manifestation.
Avec Tiède, Thomas Wattebled propose une réflexion, comme souvent teintée d’humour et d’ironie, sur les contradictions de nos sociétés contemporaines. Située entre les notions de patrimoine, d’authenticité et celle de la vigilance devant les dangers qui nous guettent, Tiède souffle le chaud et le froid à partir de l’évocation du feu de cheminée. Symbole du foyer, de la chaleur, de la communauté, il apparaît comme une pièce rapportée dans la grange de Vailly, qui n’est pas un lieu d’habitation. La sculpture est une ossature faite de plaques de placoplatre ignifugé et de détecteurs de fumée clignotants. Ainsi l’image rassurante de départ est contredite pas les éléments constitutifs de l’œuvre. Ils renvoient à notre époque où tout doit être maîtrisé, éloigner tout risque possible. Le jeu des pièces découpées et assemblées forment une structure évidée, tout à la fois impressionnante et précaire, en écho à l’armature de bois de l’architecture des granges. Thomas Wattebled met ici en exergue le paradoxe entre la valeur donnée aux choses du passé et le caractère aseptisé, « sous contrôle » de nos modes d’existence actuels.
Fidèle à son intérêt pour l’architecture, les signes et les lignes de force perçus dans les espaces traversés, Jeanne Tzaut a choisi d’investir deux sites extérieurs. A Barlieu devant les silos comme à Vailly à l’écart de la grange, elle s’appuie sur la typologie de panneaux d’information présents pour proposer des modules-sculptures, sorte de simulacres qui en récupèrent et en déclinent la forme. A mi-chemin du vrai et du faux, des codes informatifs et du caractère illusionniste de son médium, chacun porte une/des peinture(s) réalisée(s) à partir de vues fragmentaires de l’architecture des silos ou des granges.
Entre aplats et leurres visuels, géométries, détails de matières et de couleurs prélevés sur place par la photographie, les surfaces peintes jouent de l’ambiguïté de ce que l’on voit, de la nature du support entre deux et trois dimensions, comme de la manière de représenter ces éléments saisis dans l’environnement proche.
La mer à Moulin Riche. Quelle idée ! C’est pourtant ce que nous propose Chourouk Hriech à travers des points de vue multiples. Croisant des temps et des espaces disjoints, elle nous plonge dans une sorte de décor, combinaison d’artifices visuels qui sollicitent la mise en mouvement de nos imaginaires. Au mur, un grand rideau porte une image de la mer sous un ciel parsemé de nuages. Sculpture blanche énigmatique, L’horizon est un cercle pourrait être une embarcation à voile, un éventail déplié ou une entité végétale. Renforçant l’effet de mirage qui pointe, la figure de l’oiseau libre et voyageur, qui accompagne souvent son travail, est présente sous deux formes. Des spécimens en volume, uniformément blancs et figés, parsèment l’espace. Les fac-similés de la série La voce della Luna, trois toiles suspendues, proposent encore un déplacement du regard. La reproduction colorée de planches d’oiseaux alertes se détache sur le fond de dessins monochromes, architectures monumentales, fantasmes de la modernité.
Cet ensemble composite fait face au paysage réel; le bief du moulin, les prés, les lignes d’arbres et leurs frondaisons. Ultime chimère, des bottes de foin qui évoquent l’usage jadis agricole du lieu, serviront à ceux qui souhaitent s’asseoir, prendre le temps d’une déambulation mentale. Elles semblent les invitées inattendues d’une mise en scène prodigue, à l’image du théâtre de notre monde.
Dans une lecture où les bâtiments de la ferme font corps avec le milieu, Tsama do Paço s’est arrêtée sur le caractère « organique » de la grange de Joliveau à Assigny. Laissée en l’état, elle a accumulé les signes de vie et de travail dont témoignent la présence d’outils, l’usure des huisseries et des murs, les reliquats de foin, paille, branches, feuilles mortes de l’arbre jouxtant la grange. Cette épaisseur du temps, des saisons renouvelées, l’a conduit à imaginer Me tangere. Telles une nuée, des empreintes de feuilles de chêne sont suspendues dans l’espace. Elles les nomme des « détails du monde ». Fragiles, diaphanes, elles font lien entre les temps, appellent la notion de cycle de vie. L’installation se révèle soumise aux conditions présentes : lumière ambiante, souffle de l’air, déplacements du visiteur. Les cyanotypes qui l’accompagne sont des constellations-motifs approfondissant l’idée du parcours, depuis les feuilles qui reçoivent l’énergie solaire jusqu’aux étoiles.
Aussi, le contraste n’est qu’apparent avec Elle s’effondre sans cesse, version épidermique, présentée à la cave viticole La clef du récit à Vinon. Avec cette œuvre réactivée, c’est le processus de transformation qui est en cours, à l’instar de la vinification. Tsama do Paço opère souvent de la sorte; marches, prélèvements, sensibilité au vivant et à ce qui l’entoure, attention à l’instabilité de ses propositions, possible rencontre des éléments entre eux.
Devant la double porte de la grange de Vinon, le visiteur est saisi par l’effet perspectif du cadre répété des poutres rythmant le volume intérieur. Dans la ligne de fuite du regard, Paysages suspendus constitue une sorte d’échappée visuelle au fond du bâtiment. Des panneaux placés bord à bord, préalablement peints en blanc, ont été écorchés et créent un dessin abstrait où chacun peut discerner des morceaux de paysages, à différentes échelles. La surface immaculée contraste avec l’effet de profondeur et de texture du bois mis à nu. Venue de la peinture puis investissant la sculpture, la pratique de Ladislas Combeuil se situe dans un va-et-vient. Il puise régulièrement dans l’histoire de l’art des formes issus d’œuvres d’artistes qui l’ont précédé. Il les reprend pour interroger les notions d’espace, de combinaisons possibles, en donner sa propre lecture.
Au sol sont disposées Les roches errantes d’après Tony Smith, série de cinq sculptures. Des volumes géométriques de bois et de toile, posés sur de frêles chariots munis de cordes, réinterprètent ceux de l’artiste états-unien. Ils sont ici dotés d’une mobilité possible, emportant avec eux les copeaux de bois détachés de la surface verticale, évoquent l’idée d’un départ, d’un arpentage imminent du territoire.
Depuis sa première édition, allons voir ! associe de jeunes artistes tout récemment diplômés. Cette année, Hannah Barantin, Thomas Bontemps et Hanna Kokolo présentent des pièces issues de leur travail récent, qui entrent en dialogue avec les lieux qu’ils occupent.
A travers la fiction et l’auto-fiction, Hanna Kokolo (Ensa Bourges) interroge par le biais de la mémoire, l’archive, l’enquête, les parcours des descendants africains en Europe. Son travail se saisit des médiums de l’écriture, du dessin, de la céramique ou encore du son.
Hannah Barantin (TALM Tours) propose l’expérience d’un refuge à l’échelle du corps, structure propice à se retrouver soi-même et mettre ses sens en éveil. Elle mène une recherche à partir du feutre de laine et ses propriétés : douceur, chaleur, opacité et transparence, jeux avec la lumière…
Enfin, Thomas Bontemps (ENSA Bourges) explore la notion de récit, celui du voyage entre souvenirs vécus ou reconstruits. Ses histoires, qui prennent la forme de scénarios, expérimentent le passage d’un support à l’autre pour sa capacité à enrichir la narration; de l’écriture à la photographie, du travail sonore à l’image mouvement.
Gunther Ludwig